Par Judicaël Régis KEMA KEMA & Christy Lyonnella NKOLLO ETOMBET – communication Aquatic Species ONG/ 11 Décembre 2025
Alors que la crise mondiale de la biodiversité s’aggrave, avec une perte moyenne de 69 % des populations fauniques entre 1970 et 2018 (WWF, 2024 ; Büscher, 2025), une question se pose avec une urgence renouvelée : et si nous décidions enfin de nous engager pleinement pour la conservation de certains taxons, notamment les baleines ?
Ces géants marins ne sont pas seulement des symboles de la nature : ils jouent un rôle central dans le fonctionnement écologique de l’océan et représentent, pour les pays côtiers de l’Atlantique Sud, dont le Gabon, une opportunité unique de développement durable.
Un projet visionnaire mis en échec : le Sanctuaire Baleinier de l’Atlantique Sud
Depuis 2001, les nations du Groupe de Buenos Aires (Brésil, Argentine, Uruguay, Afrique du Sud, Gabon depuis 2010) promeuvent la création d’un Sanctuaire Baleinier de l’Atlantique Sud (Marcondes, 2020). L’objectif : protéger l’ensemble des migrations interhémisphériques des grandes baleines, encourager une recherche exclusivement non létale et encourager le développement d’une économie bleue.
Pourtant, malgré un large soutien majoritaire, la proposition a de nouveau échoué lors de la 69ᵉ session de la Commission Baleinière Internationale (CBI) au Pérou en 2024, faute de majorité qualifiée (IISD, 2024).
Malgré les recommandations du comité scientifique de la CBI de renforcer les approches non létales et d’améliorer la coopération régionale pour la conservation des cétacés, une minorité persistante de pays pro-chasse continue de bloquer l’adoption du Sanctuaire de l’Atlantique Sud, en contradiction avec les tendances mondiales et l’état de la science. (IWC, 2023).
Cependant, comme le souligne la lettre ouverte de 110 experts africains en conservation, « aucun pays d’Afrique centrale ou occidentale ne pratique la chasse commerciale à la baleine, et leur soutien aux positions pro-chasse constitue une contradiction directe avec leurs propres politiques nationales de conservation ». (www.gabonreview.com).
La position d’Aquatic Species ONG : un engagement ferme pour le sanctuaire
Aquatic Species réaffirme publiquement son soutien à l’établissement du Sanctuaire Baleinier de l’Atlantique Sud. La conservation des baleines s’inscrit dans notre mission de protection des espèces aquatiques menacées au Gabon et dans le Golfe de Guinée. Notre position repose sur trois principes :
- La chasse commerciale est incompatible avec les engagements de conservation (IUCN Red List, divers statuts d’espèces menacées).
- La recherche non létale fournit des données suffisantes et scientifiquement robustes (Pastavrou & Ryan, 2023 ; IWC, 2023).
- Le Gabon a un intérêt écologique et économique majeur à soutenir un sanctuaire international.
Pourquoi ce sanctuaire serait un moteur économique pour le Gabon ?
- Le whale-watching : un marché mondial estimé à plus de 2,1 milliards USD/an
Le whale-watching représente aujourd’hui un marché mondial de plus de 2,1 milliards USD par an, générés par près de 13 millions de touristes pratiquant cette activité (Cisneros-Montemayor et al., 2010). En Afrique du Sud, où le whale-watching constitue l’une des principales composantes du tourisme marin, les visiteurs majoritairement internationaux, investissent des montants importants dans ces excursions, confirmant l’importance économique croissante de ce secteur pour les économies africaines (Geldenhuys et al., 2019).
Le Gabon, qui accueille chaque année des centaines de baleines à bosse (Megaptera novaeangliae) entre juin et septembre (Strindberg et al., 2011 ; Chou et al., 2020). Ainsi, un sanctuaire reconnu internationalement : i) renforcerait la visibilité du Gabon, ii) attirerait davantage de touristes internationaux, iii) stimulerait les investissements locaux, iv) favoriserait la création d’emplois bleus.
- Contribution écologique unique : les baleines boostent la productivité marine
Les baleines stimulent la pompe biologique de carbone en fertilisant les eaux grâce au “Whale Pump” (Roman & McCarthy, 2010). Elles augmentent la productivité du phytoplancton, ce qui bénéficie directement : aux pêcheries artisanales, à la sécurité alimentaire, à la résilience des écosystèmes marins. Dans un pays comme le Gabon, où les communautés de pêche dépendent fortement des ressources côtières, cet impact est particulièrement stratégique. Pour de nombreux ménages, la pêche n’est pas seulement une activité économique : c’est une source de sécurité alimentaire, de transmission culturelle et de stabilité sociale. Comme l’explique Franck, pêcheur au Gabon, « ma famille, et beaucoup de personnes que je connais, dépendent directement de la pêche. C’est grâce aux revenus du poisson que nous pouvons payer la scolarité des enfants, acheter la nourriture quotidienne et faire face aux besoins importants. Sans la pêche, notre vie serait très difficile. »
- Renforcement de la diplomatie environnementale du Gabon
Comme le montrent Metcalfe et al. (2022), le Gabon s’affirme comme un leader africain en matière de conservation marine et de gouvernance environnementale. Un soutien actif au Sanctuaire des baleines de l’Atlantique Sud renforcerait encore son influence dans les négociations internationales, consoliderait la stratégie nationale du “Gabon Bleu” et renforcerait sa capacité à mobiliser des financements multilatéraux essentiels à ses ambitions de conservation.
Une nouvelle soumission à la CBI : un moment décisif
Bien que la proposition de Sanctuaire Baleinier de l’Atlantique Sud n’ait pas été adoptée lors de la session de 2024 de la CBI, la question demeure centrale pour la protection des cétacés dans la région. Face à cet enjeu, Aquatic Species ONG appelle :
• le Gouvernement du Gabon,
• les institutions scientifiques nationales et internationales,
• les ONG africaines,
• ainsi que les organisations régionales,
à adopter une position unifiée, claire et résolument pro-conservation en vue de soutenir l’établissement du Sanctuaire Baleinier de l’Atlantique Sud lors des prochaines discussions internationales.
Conclusion : Et si cette fois, nous nous s’engageons veritablement ?
La conservation des baleines n’est pas une nostalgie écologique : c’est un investissement stratégique pour l’avenir des pays africains dont le Gabon. La science est claire.
L’économie est favorable. Les populations africaines soutiennent massivement la protection des cétacés. « Protéger les baleines, c’est protéger l’océan. Et protéger l’océan, c’est protéger l’avenir de nos communautés. » Aquatic Species ONG
Les pays africains ont tout à gagner écologiquement, socialement, économiquement, en soutenant la création du Sanctuaire Baleinier de l’Atlantique Sud.
Et si, cette fois, nous décidions réellement de nous engager ?

Articles scientifiques
Büscher, B. (2025). The great conservation tragedy? A critical reflection of (neo)protectionism in relation to the ‘30 × 30’ global biodiversity framework. The Journal of Peasant Studies, 52(3), 439–460. https://doi.org/10.1080/03066150.2024.2397373
Chou, E., Kershaw, F., Maxwell, S. M., Collins, T., Strindberg, S., & Rosenbaum, H. C. (2020). Distribution of breeding humpback whale habitats and overlap with cumulative anthropogenic impacts in the Eastern Tropical Atlantic. Diversity and Distributions, 26(5), 549–564. https://doi.org/10.1111/ddi.13033
Cisneros-Montemayor, A. M., Sumaila, U. R., Kaschner, K., & Pauly, D. (2010). The global potential for whale watching. Marine Policy, 34(6), 1273–1278. https://doi.org/10.1016/j.marpol.2010.05.005
(Ajout du volume, numéro et pages selon la publication originale)
Geldenhuys, L. L., Van der Merwe, P., & Saayman, M. (2019). Profile and behaviour of marine tourists in South Africa. African Journal of Hospitality, Tourism and Leisure, 8(4).
(Pas de DOI pour cet article)
Gerber, L. R., Hyrenbach, K. D., & Zacharias, M. A. (2005). Do the largest protected areas conserve whales or whalers? Science, 307(5709), 525–527. https://doi.org/10.1126/science.1106120
Marcondes, D. (2020). Conservationist geopolitics: Brazilian foreign policy and the South Atlantic Whale Sanctuary. Marine Policy, 120, 104054. https://doi.org/10.1016/j.marpol.2020.104054
Roman, J., & McCarthy, J. (2010). The whale pump: Marine mammals enhance primary productivity. PLoS ONE, 5(10), e13255. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0013255
(DOI exact corrigé — celui de PLOS ONE)
Strindberg, S., Ersts, P. J., Collins, T., Sounguet, G.-P., & Rosenbaum, H. C. (2011). Line transect estimates of humpback whale (Megaptera novaeangliae) abundance and distribution on their wintering grounds in the coastal waters of Gabon. Journal of Cetacean Research and Management, Special Issue 3, 151–160.
Rapports et documents institutionnels
Gabon Review. (2024). Lettre ouverte : L’Afrique se déshonore à encourager la chasse à la baleine à la Commission baleinière internationale (CBI). article publié le 20 septembre 2024. Consulté le 09 décembre 2024 à l’adresse: www.gabonreview.com/lettre-ouverte-afrique-se-deshonore-a-encourage-la-chasse-a-la-baleine-a-la-commission-baleiniere-internationale-cbi/
International Institute for Sustainable Development (IISD). (2024). Summary of the 69th meeting of the International Whaling Commission: 23–27 September 2024. Earth Negotiations Bulletin, 34(3). https://enb.iisd.org/international-whaling-commission-iwc69
International Whaling Commission (IWC). (2023). Report of the Scientific Committee: Bled, Slovenia, 24 April–6 May 2023 (SC/69A). https://iwc.int
WWF. (2024). Rapport Planète Vivante 2024 – Un système en péril. WWF International.
(Pas d’URL fournie, mais APA l’accepte pour un rapport imprimé.)